Connaissez-vous leur projet incroyable ? Sauver l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue de la ruine pour en faire le premier centre d’art contemporain des Midi-Pyrénées, dans la deuxième moitié du XXe siècle !
Geneviève Bonnefoi vers 1945 © Reproduction Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux
Pierre Brache, 1957 © DR
Née en 1921 à Paris, Geneviève Bonnefoi se forme au métier de secrétaire sténodactylo. Elle obtient ensuite un poste de secrétaire d’édition aux Editions Corréa, grâce auquel elle entre dans la sphère culturelle parisienne et côtoie écrivains et artistes comme René Char, Antonin Artaud ou Henri Michaux. A leur contact, elle apprend à défendre ce qu’elle aime et ce en quoi elle croit. Elle devient courriériste littéraire, puis critique d’art à partir de 1954.
Pierre Brache, quant à lui, naît en 1920 dans l’Yonne. Pupille de la Nation, il s’illustre dans ses études, se forme à la comptabilité et la gestion et deviendra administrateur de sociétés. Il administrera notamment le prestigieux groupe Fauchon-La Tour d’Argent.
Il fait la connaissance de Geneviève en 1943. Dans l’effervescence de l’après-guerre, ils fréquentent tous deux les galeries de l’avant-garde de l’art contemporain, comme celles de René Drouin ou de Jean Fournier. Plus tard, Pierre s’associera à René Drouin.
Geneviève Bonnefoi et Pierre Brache rencontrent alors artistes et écrivains, avec qui ils échangent et forgent leurs goûts artistiques. Des amitiés se nouent, des découvertes marquent leurs esprits et ils commencent à acquérir leurs premières œuvres : des aquarelles d’Henri Michaux en 1948, puis Tête d’otages n°7 de Jean Fautrier complète rapidement ces débuts (à la même période).
Abbaye de Beaulieu-en-Rouergue en ruine © DR
En 1952, Geneviève Bonnefoi et Pierre Brache achètent la Chapelle St Barthélémy à Najac comme villégiature et découvrent le Rouergue, territoire historique situé vers l’Aveyron. C’est tout à fait par hasard, un an plus tard, qu’ils repèrent l’abbaye de Beaulieu dans un état pitoyable. Exploitation agricole depuis le XIXe siècle, elle est désormais à l’abandon et quasi-ruinée.
Pourtant, « Ce fut le coup de foudre et, en même temps, un serrement de cœur. L’église faisait songer à un navire naufragé. Elle n’en avait pas moins une rigueur et une pureté si abstraites qu’elle eût pu être l’œuvre d’un architecte actuel – un architecte de génie, bien sûr. »
Le couple remarque les décors peints de la salle capitulaire : « A notre grande surprise, les arcs carrés des six voûtes d’ogives de la salle capitulaire étaient couverts d’arabesques peintes en ocre et rouge qui forment une véritable écriture abstraite. Il y avait là une démonstration extraordinaire de cette liaison de l’art ancien et moderne qui nous a toujours tenus à cœur. »
Décors peints, abbaye de Beaulieu-en-Rouergue © Alain Lonchampt / Centre des monuments nationaux
Lentement émerge le projet d’acquérir l’Abbaye de Beaulieu-en-Rouergue pour la restaurer et en faire le premier centre d’art contemporain de Midi-Pyrénées. Néanmoins, l’investissement total, achat et travaux, est considérable.
Depuis quelques années, Pierre Brache s’est pris de passion pour l’œuvre de Constantin Brancusi dont il acquiert plusieurs pièces, notamment Le Premier Cri en 1954 « à un prix dérisoire » selon Geneviève Bonnefoi. Le couple s’en sépare en 1961 pour financer le projet.
L'étude des archives de Pierre Brache a révélé également que l’achat de l’abbaye a été conditionné par la vente d’une première sculpture, Le Poisson, en 1960. Une précieuse information qui démontre leur résolution de donner à l’aventure de Beaulieu-en-Rouergue toutes les chances d’être menée à bien.
Les travaux ont duré dix ans et le centre d’art fut inauguré en 1970, aux côtés de Bernard Anthonioz, le chef du service de la Création artistique au ministère des Affaires culturelles.
Dès lors, de multiples expositions présentant leur superbe collection seront organisées dans l’église abbatiale.
"Le Nouveau-né" de Constantin Brancusi [vente Sotheby & Co, 28 juin 1961, n° 45] © Constantin Brancusi - ADAGP © Reproduction Camille Padilla / Centre des monuments nationaux
En 1973, le couple se sépare. Se pose alors la question cruciale de la continuité de leur projet et du devenir de leur collection d’art. Ils décident de donner le monument et une partie de la collection à la Caisse Nationale des Monuments Historiques (futur Centre des monuments nationaux). Geneviève devient conservatrice du monument et garde l’usufruit d’une partie des bâtiments conventuels.
C’est donc une collection d’art des Trente Glorieuses de première importance dont est aujourd’hui dotée l’abbaye. Geneviève et Pierre avaient noué des relations amicales avec nombre d’artistes collectionnés avec qui ils entretenaient une étroite correspondance, comme Henri Michaux ou Jean Dubuffet.
Leurs productions ont une place de choix dans la collection de Geneviève Bonnefoi et Pierre Brache, tout comme les œuvres de Simon Hantaï ou Fred Deux.
D’autres acquisitions matérialisent le geste créateur ou questionnent la matière, certaines pièces abstraites retranscrivent l’état intérieur des artistes, par des formes et des couleurs parfois évanescentes. Cette collection incarne « les Années Fertiles »*, un temps de production intense et fiévreux, marqué par les horreurs de la guerre à peine terminée et par la fureur de vivre qui découle de cette liberté retrouvée.
Dédicace à Jean-Paul Richter, © Frédéric Benrath - ADAGP, © Reproduction Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux
En 2018, Geneviève Bonnefoi décède, donnant au Centre des monuments nationaux l’ensemble de sa collection d’art ainsi que ses archives. On procède alors à un long inventaire de sa collection qui fait état de 1 363 œuvres, parmi lesquelles 203 tableaux, 497 dessins, 420 œuvres imprimées (estampes et livres d’artistes), 103 sculptures, 12 œuvres textiles, 128 œuvres et ensembles d’œuvres d’arts extra-européens (océanien, méso-américain et africain).
Le nouveau parcours de visite du monument valorise le rôle primordial de Geneviève Bonnefoi et de Pierre Brache dans l’histoire de l’art du XXe siècle et dans la sauvegarde de l’abbaye de Beaulieu. Environ 300 œuvres sont présentées de manière permanente dont une partie en roulement.